Alors que le dispositif MonPsy entrera en vigueur le 5 avril, plus de 2 000 psychologues dénoncent, dans une tribune au « Monde », la gabegie du gouvernement et expliquent pourquoi ils entendent boycotter ce protocole, qu’ils étaient pourtant nombreux à appeler de leurs vœux.
Tribune
Depuis plusieurs mois, Emmanuel Macron et Olivier Véran se félicitent d’une réforme concernant le remboursement de consultations auprès d’un psychologue qu’ils présentent avec emphase comme une avancée historique pour les personnes en situation de détresse psychique.
Que l’on ne s’y trompe pas. Beaucoup de psychologues sont favorables à un dispositif de remboursement des séances au nom d’une égalité d’accès aux soins psychiques.
Et puis, ne boudons pas notre plaisir : notre métier est enfin reconnu d’utilité publique, loin des clichés sulfureux qu’il charrie encore parfois.
Pour autant, le dispositif MonPsy, qui entrera en vigueur à partir du 5 avril, est inacceptable et dangereux pour nous comme pour nos futurs patients.
L’ensemble de la profession n’a cessé de le dire, mais nos demandes et propositions sont restées lettre morte.
Si bien que nous, psychologues libéraux et exerçant en institution, sommes aujourd’hui déterminés à boycotter ce protocole dont nous étions pourtant nombreux à louer les motifs initiaux.
A titre liminaire, nous rappellerons au président de la République et à son ministre des solidarités et de la santé que le libre accès au soin psychique prodigué par des psychologues existe dans son principe noble, inconditionnel et gratuit, depuis une soixantaine d’années au sein de structures hospitalières et médico-sociales publiques.
Or ces établissements ne sont plus en capacité d’effectuer leur mission (les listes d’attente pour la prise en charge de nouveaux patients varient de plusieurs mois à quelques années) parce que les gouvernements successifs les ont laissés progressivement dépérir en limitant leurs moyens et en transformant leur esprit.
Jamais en France le service public de la santé psychique n’a été à ce point malmené et déconsidéré : fermeture de services de psychiatrie dans la fonction publique hospitalière, exclusion systématique de notre métier dans les revalorisations salariales, maltraitance de psychologues structurellement sous-payés, usés et démissionnaires du fait de procédures les soumettant à des contraintes incessantes et dénuées de sens.
Dans ce contexte désolant, le dispositif promu par l’exécutif à destination du secteur libéral a tout de la poudre aux yeux jetée à des fins purement électoralistes. Qu’on en juge plutôt.
En premier lieu, les séances ne seront remboursées que sur adressage préalable d’un médecin.
Dans notre pratique quotidienne, une orientation du médecin est parfaitement compatible avec notre exercice. De fait, les médecins, majoritairement non formés à la prise en charge de la souffrance psychique dans son versant psychothérapique, nous envoient régulièrement des patients pour avis et suivi dans ce qui est une collaboration confraternelle nécessaire et féconde. Mais l’adressage (qui n’est ici rien d’autre qu’une prescription déguisée) est une affaire différente : il dit ce qui est bon pour un patient et commande une exécution par un professionnel de santé.
A ce titre, il est antagoniste à toute démarche de soin psychique, laquelle s’inscrit dans un moment – le bon moment pour un patient – et dans une rencontre : la bonne rencontre entre le patient et son thérapeute. La santé mentale n’est pas qu’une affaire de médecine et de chimie, elle est aussi une affaire d’humanité, et les sciences humaines ont toute leur place dans la prise en charge de la souffrance psychique, à côté de la science médicale et sans nul besoin de lui être inféodée. La préservation de l’accès libre et direct aux psychologues doit être clairement garantie.
D’autre part, les remboursements seront limités à une portion congrue de la population (250 000 personnes la première année, soit 0,5 % de la population) et en fonction des troubles.
En effet, seuls « les troubles d’intensité légère à modérée » seront concernés, et les patients en burn-out ou prenant un traitement antidépresseur, souffrant de troubles alimentaires ou d’une addiction, seront de facto exclus de cette prise en charge.
Quand les personnes seront plus gravement touchées, où trouveront-elles l’aide nécessaire ?
Faudra-t-il attendre qu’elles soient hospitalisées pour être accompagnées décemment, si cela est encore possible ?
Le troisième danger de ce dispositif réside dans le fait qu’il ne propose le remboursement que de huit séances par an au maximum.
Huit, pas une de plus ! Cela montre une méconnaissance stupéfiante de notre profession et de ce qu’est une psychothérapie.
Certaines thérapies courtes sont tout à fait fructueuses, et ce sont de toute façon les patients qui décident in fine du nombre de séances dont ils auront besoin. Mais pour que tout ce qui est douloureux et complexe puisse se dire, pour que l’élaboration de ce qui entrave puisse advenir, nos patients ont souvent besoin de plus de huit séances.
Si le nombre de séances annuelles remboursées est limité à huit, comment allons-nous clore de manière imposée ce qui a commencé à s’ébaucher ?
« Vous vous êtes livrés tout l’été ? Eh bien ! payez maintenant ! » Ou bien : « Revenez l’an prochain même si vos souffrances sont toujours aussi aiguës. »
Comment maintenir un lien de confiance avec nos patients qui devront alors payer de leur poche (s’ils en ont les moyens) pour continuer leur thérapie ?
Cette rupture dans la continuité des soins est impossible à valider sur les plans éthique et thérapeutique, et nous demandons un rehaussement significatif du nombre de séances remboursées.
Quatrième problème enfin, le montant des huit séances remboursées a été fixé à trente euros, sans dépassement possible.
Cette décision est lourde de conséquences parce qu’elle condamne l’ensemble de la profession à une paupérisation sans précédent.
En temps ordinaire, le tarif d’une séance de thérapie est de soixante euros en moyenne. Ce n’est pas un montant anodin, mais c’est ce qui nous permet de recevoir sept ou huit patients par jour tout en payant nos charges, le loyer de notre cabinet, nos formations et nos supervisions.
Par ailleurs, dans notre pratique quotidienne, nous adaptons déjà nos tarifs aux moyens de nos patients : trente euros la séance, et même parfois moins.
Si nous pouvons le faire, c’est précisément parce que d’autres patients ont les moyens de payer plus.
On pourrait nous rétorquer que l’afflux de patients, lié au dispositif de remboursement, permettrait de compenser la perte sèche subie par les psychologues. A ceci près qu’il est rigoureusement impossible de faire ce métier correctement si nous recevons les patients à la chaîne.
Nous refusons de recevoir de quinze à vingt patients par jour, entre vingt et trente minutes au maximum, au risque de nous abîmer dans ce rythme et d’abîmer nos patients avec.
La survie de la profession, et d’un soin psychique dans le respect d’une éthique professionnelle et d’une qualité d’écoute, est menacée si des psychologues ubérisés acceptent ce dispositif contraint du début à la fin.
La Cour des comptes, dans son rapport qui appelle à la généralisation du dispositif de remboursement des séances de psychothérapie (« Les parcours dans l’organisation des soins de psychiatrie », février 2021), semble pourtant percevoir le caractère ubuesque de la situation lorsqu’elle énonce que « la contrainte dans les soins mine l’alliance thérapeutique, reconnue comme précieuse dans le traitement ».
L’autre ironie amère de la situation est que l’on nous dit tous les jours, en cette période de pandémie, à quel point notre travail est précieux et, pourtant, jamais nous n’avons eu le sentiment d’être autant méprisés. Victimes de la reconnaissance de notre métier, il nous faudrait désormais l’exercer au rabais.
Et ce au motif que l’Etat ne se donne plus les moyens de financer les institutions publiques dont la mission est d’intervenir gratuitement pour les publics les plus fragiles.
Notre colère n’est en rien la traduction d’un quelconque réflexe corporatiste. Par-delà ces questions brûlantes soulevées par notre profession, nous sommes aussi solidaires de tous les professionnels exerçant un métier au cœur de l’humain : soignants, enseignants, travailleurs sociaux, magistrats, etc. Comme nous, ils sont touchés mais luttent sans relâche pour préserver l’éthique et l’humanité qui fondent leurs pratiques.
S’il y a destruction de nos métiers et perte de sens de nos missions, il se produira un désastre pour celles et ceux qui font appel à nous.
Nous sommes et resterons des professionnels responsables de notre éthique et autonomes dans nos méthodes et pratiques.
Nous ne sommes ni des robots ni des clones, et nous ne gérons ni des flux ni des stocks.
Nous sommes des psychologues et nous ne serons jamais des vendeurs de soins psychiques.
Là où l’exécutif s’érige aujourd’hui en gestionnaire tatillon de l’intime, nous continuerons de prendre en charge la souffrance psychique d’êtres humains dont les problématiques, parce qu’elles sont diverses, complexes et singulières, ne seront jamais réductibles à un protocole contraint et standardisé.
Tribune du Monde parue le 29/03/2022
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